Le Brésil, la plus grande communauté africaine hors d'Afrique

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Carte de la population afro-brésilienne

Carte de la répartition de la population afro-brésilienne publiée par l'Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE) en 2010.
© Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE)

Après le Nigeria, le Brésil est le deuxième pays au monde le plus peuplé d'Africains, arrachés d'Afrique suite aux razzias esclavagistes portugaises successives au cours des derniers siècles. Ainsi, le Brésil est le premier pays au monde hors d'Afrique ayant la plus grande population d'origine africaine. De plus en plus, nombre d'Afro-brésiliens se réconcilient avec leur identité.


Ci-haut, la carte de la population du Brésil publiée par l'Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE) et basée sur les données du recensement de 2010. Plus la couleur brune est foncée, plus le pourcentage de la population afro-brésilienne est élevé par rapport à la population totale.


Les résultats du recensement de l'année 2010 ont montré que sur un total de 190.732.694 millions d'habitants, 50,74 % (96.777.769 millions) sont afrodescendants, 47,74 % sont eurodescendants, et le reste se réparti entre ceux qui ont des origines asiatiques, 1,09 %, et les autochtones, 0,43 %. La population afro-brésilienne, près de 100 millions au total, représente la majorité de la population du pays et les projections dans le futur confirment le maintien de cette tendance. Le pouvoir, c'est aussi le nombre. Et cette carte montre clairement que le Brésil est nettement plus africain que laisse croire la propagande des médias dominants.


Carte de la population afro-brésilienne

Jose Aguinelo dos Santos
Le 7 juillet 2014, il a eu 126 ans et il vit à Bauru au Brésil.
Sur cette photo, il montre une pièce d'identité avec sa date de naissance: 7 juillet 1888.
© Alan Schneider/Globo G1.


LE BRÉSIL ET L'AFRIQUE

« "Histoire générale de l'Afrique", c'est un ouvrage autant qu'un projet politique. Les pères fondateurs de l'OUA souhaitaient une discipline enseignée de la même manière sur tout le continent. C'était il y a cinquante ans, mais le chemin est encore long.


[…] L'idée de doter l'Afrique d'une histoire commune conçue par les Africains et enseignée partout remonte à 1964, juste un an après la création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Les dirigeants africains, soucieux de favoriser la connaissance mutuelle de leurs différents peuples et de sortir d'une vision du continent héritée de la colonisation, décidèrent de remettre les choses à plat. C'est ainsi que naquit le projet de rédaction d'une histoire générale de l'Afrique, dont la réalisation fut confiée à l'Unesco.


[…] La vocation de ce travail accompli par l'Unesco était de "servir de base à un renouveau complet de l'enseignement de l'histoire en Afrique". Mais la mise en valeur pédagogique du produit n'a pas suivi. Pis, il n'est pas suffisamment connu du public.


Le Brésil est le seul pays où "Histoire générale de l'Afrique" est utilisé comme outil pédagogique à tous les niveaux. En 2003, compte tenu de l'existence d'une importante communauté brésilienne d'ascendance africaine, le président de l'époque, Lula da Silva, avait fait voter une loi rendant obligatoire cet enseignement. La traduction portugaise de l'ouvrage a été financée par Brasília. En Afrique, seuls le Ghana, le Bénin, le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie et l'Afrique du Sud ont Histoire générale de l'Afrique dans leurs bibliothèques nationales et universitaires. »


Tshitenge Lubabu, "L'Histoire générale de l'Afrique, un rêve un peu fou".
(12 décembre 2013)


Carte de la population afro-brésilienne

Rencontre des 37 experts à Addis Ababa (Éthiopie) du 20 au 22 mai 2013, dont le Pr. Elikiaka Mbokolo comme président du Comité Scientifique, pour l'élaboration du neuvième volume de l'Histoire Générale de l'Afrique et la réactualisation des huit précédents volumes de la collection.

En novembre 2013, la première réunion d'un comité scientifique international s'est tenue à Salvador (Bahia, Brésil) pour l'élaboration du neuvième volume de l’Histoire Générale de l'Afrique qui sera consacré aux Afrodescendants à travers le monde. Ce nouveau volume sera construit autour d’un nouveau concept d’une africanité globale pour "mieux traduire les continuités et discontinuités à long terme entre l’Afrique et ses diasporas". (Voir aussi la note conceptuelle du volume IX de l'Histoire Générale de l'Afrique)


« […] Conscients du rôle éminemment positif joué par le grand projet de l’Histoire Générale de l’Afrique dans la restauration de la dignité des peuples africains et dans la prise de conscience de la place de l’Afrique, berceau de l’Humanité, dans l’évolution de la civilisation universelle;


Convaincus que la réalisation de la Renaissance Africaine, qui passe nécessairement par la valorisation des langues africaines, et la mise en œuvre du Panafricanisme exigent d’assurer les ruptures épistémologique, méthodologique et pédagogique seules à même de garantir l’indispensable refondation des sciences humaines et sociales en général, et de l’histoire en particulier;


[…] Saluent dans ce contexte l’exemple du soutien financier de la Libye et du Brésil pour l’Utilisation Pédagogique de l’Histoire Générale de l’Afrique et pour le développement de son neuvième volume consacré à l’Afrique contemporaine et à sa Diaspora; »


Extrait de "l'Appel mondial" rédigé le 25 mai 2013 par les experts à Addis Ababa demandant à l’Union Africaine d’assumer ses responsabilités dans la réalisation de ce projet.



« Le Brésil est le seul pays à avoir adopté une loi qui prône l'enseignement de l'histoire et de la culture africaine, y compris l'histoire afro-brésilienne, aux cycles primaire, secondaire et pré-scolaire, a-t-on appris mercredi à Harare, au Zimbabwe, au cours d’une réunion d'experts de l'UNESCO.


[…] Le projet "Brésil-Afrique: Histoires croisées" comprend la surveillance de l'application de la loi, la production et la diffusion d'informations sur l'histoire de l'Afrique et du peuple afro-brésilien et des conseils sur l'élaboration des politiques publiques.


Le projet vise à identifier les questions essentielles, les progrès et les défis concernant la mise en œuvre de la loi, à collaborer à l'élaboration de stratégies pour la réalisation de politiques publiques en conséquence, ainsi qu'à systématiser, produire et diffuser des connaissances sur l'histoire et la culture de l'Afrique. »


PANAPRESS, "Le Brésil leader dans l'enseignement de l'histoire de l'Afrique" (7 septembre 2011)



Brésil-Afrique: histoires croisées

L'initiative "Brésil-Afrique: histoires croisées" a pour objectif de combler une lacune dans le système d'éducation brésilien concernant l'importance de l'héritage africain dans l'identité nationale et vise à montrer que l'histoire africaine ne se limite pas à l'esclave et à la pauvreté. L'UNESCO au Brésil, en partenariat avec le Ministère de l'éducation et l'Université fédérale de São Carlos (UFSCAR), a publié en portugais la collection complète de l'Histoire de l'Afrique pour diffuser un nouveau regard sur le continent africain parmi la population brésilienne.



QUILOMBO

Pendant l’époque esclavagiste au Brésil colonial, plusieurs quilombos ont été constitués comme forme de résistance au système d’oppression et d’exploitation établi par les esclavagistes portugais. Fuir à des endroits d’accès difficiles pour les esclavagistes était un recours utilisé par plusieurs hommes et femmes libres africains depuis le début de leur mise en esclavage. Ces groupements humains étaient appellés Quilombos (mot d’origine kongo: KILOMBO) qui pouvait être constitués d’une dizaine de personnes jusqu’à des milliers d’habitants comme l’était le cas du "Quilombo dos Palmares" (Quilombo de Palmares). Kilombo est un mot kongo dont l'orthographe en portugais remplace le "KI" en "QUI".


Statue de Zumbi à Salvador dans l'État de Bahia

Une statue de 2,20 m de Zumbi à Salvador dans l'État de Bahia. Il tient une lance dans une main et un poignard dans l'autre.
© Lidia Machado Pereira.

« Kilombo c'est un rassemblement et le mot désigne aussi l'armée. Donc, le rassemblement pour pouvoir partager. Dans la notion de l'armée, elle est là pour pouvoir défendre, défendre la nation. Et justement le kilombo est destiné à défendre notre nation, notre culture. Il y a donc la notion de rassemblement et la notion de défense. »

Nsaku Kimbembe Sengele


Organisés en fédération de Mocambos (un Quilombo est un ensemble d'agglomérations, les Mocambos ou Mucambos), le Quilombo de Palmares est situé dans le Nord-Est du Brésil dans la région de Serra da Barriga dans l’actuel État d’Alagoas. Palmares a été le Quilombo le plus peuplé du Brésil et sa formation a commencé en 1590. Cet État d'hommes libres a prospéré jusqu'en 1694. De 1624 à 1654, Palmares avait 35.000 habitants (les Quilombolas sont les habitants d'un Quilombo) répartis sur 10 Mocambos présents sur un vaste territoire. Chacun de ses Mocambos avait un gouverneur subordonné à un gouvernement central situé à la capitale, Macaco, le principal Mocambo.


L’écrivain brésilien Edison Carneiro a effectué un travail remarquable sur Palmares. Il le présente, dans son livre "O Quilombo dos Palmares" (1947), comme « un État Noir, un morceau d’Afrique transplanté dans le Nord-Est du Brésil » (Edison Carneiro, "Guerra dos Palmares" dans "O Quilombo dos Palmares" p. 48). Carneiro ajoute que « le Quilombo de Palmares fut un État noir sur le modèle de ceux qui existaient en Afrique » dans lesquels un chef suprême était élu parmi les hommes les plus forts et habiles. Cependant, le nom "Quilombo dos Palmares" est donné par les Portugais. Mais le nom donné par les fondateurs de ce territoire de liberté est Angola Janga ("Angola" est une déformation portugaise de "Ngola". Notons que "Ngola" est un titre royal dans le royaume de Ndongo et de Matamba. "Ngola" est aussi le nom donné à une pièce en fer qui est un attribut du roi dans le Ndongo).


Les Quilombos vivaient de l'agriculture, de la chasse, de la pêche, de la production de tissus, de la poterie et de la fabrication d'instruments de travail y compris les armes. Plusieurs Quilombos ont été créés dans toutes les régions du Brésil. Ceux qui possedaient le plus grand nombre de quilombolas (habitants) étaient liés à des centres économiques les plus dynamiques. Palmares, ainsi que d’autres Quilombos du Nord-Est du Brésil, etaient liés à l’économie de la canne de sucre. Un autre Quilombo situé à Minas Gerais (région Sud-Est), le Quilombo Ambrósio, était lié à l’économie minière. La ville de Goiás (région Centre-Ouest) a abrité plusieurs Quilombos ainsi que Maranhão et Pará (Nord), Rio Grande do Sul (région Sud), São Paulo et Rio de Janeiro (région Sud-Est). Un Quilombo était une société libre où la structure sociale africaine des origines était reproduite. Les habitants retrouvaient leur identité africaine avec ses coutumes, religion, et un travail communautaire sans esclavage.


En 1678, Ganga Zumba ("Ganga" est une déformation portugaise de "Nganga" qui dans les langues africaines est un titre de spécialisation dans une science) gouvernait Palmares et malgré sa réussite à démanteler plusieurs expéditions d’attaque sur le Quilombo, il accepte un accord de paix avec le gouverneur de Pernambouc, Aires de Souza e Castro. Cependant, cet accord de paix n'est pas accepté par tous les Quilombolas et les adversaires de Ganga Zumba réunis autour de Zumbi, son neveu et chef militaire, l'empoisonnèrent. Après cet évènement, Zumbi devint l’autorité suprême de Palmares. Zumbi était unanimement craint et respecté, autant par les siens que par ses adversaires et sera le plus grand commandant militaire et dirigeant de Palmares.


En 1694, une expédition commandée par Domingos Jorge Velho fini par découvrir le refuge de Zumbi grâce à l'un de ses proches, Antonio Soarés, qui le trahit et le Quilombo fut détruit. Le 20 novembre 1695, Zumbi fut tué et sa tête exposée sur la place publique dans la ville de Recife. Depuis lors, Palmares et Zumbi sont pour le Brésil les symboles majeurs de la résistance contre l’esclavage et son nom représente le courage, la dignité, la lutte pour la justice, et la lutte contre l’opression.



LA CONSCIENCE NOIRE

Edna Lima

Edna Lima, Mestranda (titre féminin de Maître de la Capoeira), ceinture rouge de la Capoeira, Sensei (ceinture noire 5e Dan - Godan) en Karate Shotokan.
© Edna Lima.

Le 20 novembre est jour férié au Brésil en mémoire de la mort de Zumbi, héros civilisateur du Brésil, sauvagement assassiné par les Portugais qui par ses actions avait fortement contribué à réhabiliter la dignité humaine des Africains déportés au Brésil lors de ses combats acharnés contre la barbarie, la chosification, et la bestialisation de l'être humain dans l'univers concentrationnaire du Brésil sous le régime esclavagiste portugais.


Cette journée est la journée de la Conscience Noire, "Dia Nacional de Zumbi e da Consciência Negra", et surtout le jour de la célébration de l'immortalité de Zumbi dans la conscience collective du peuple brésilien. Il s'agit d'un moment important pour se souvenir de la longue lutte qu'ont mené les Africains kidnappés d'Afrique vers le Brésil où ils ont pu arracher dans la douleur leur liberté. C'est également l'occasion de se remobiliser pour les luttes à finir en matière d'inclusion sociale dans une société brésilienne encore imprégnée par des pesanteurs racialistes.


Cette journée fait place à plusieurs festivités pour célébrer ses racines africaines, sa culture, son génie créateur, son identité, et affermir son sentiment d'appartenance à un grand peuple qui a été au fil des millénaires l'instituteur des peuples du monde en matière de valeurs morales et de sciences.



Les Afro-brésiliens, 2e population africaine au monde après les Nigérians